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Vivre sans identité

Retour sur une rencontre avec les communautés tibétaines du Népal – visite de terrain.

Du 26 novembre au 6 décembre 2021, je me suis rendue au Népal dans le cadre d’une mission de suivi de projet qui était initialement prévue en mars 2020. Alors que l’épidémie de coronavirus se propageait à travers le monde, nous avions été contraints de reporter notre voyage en raison des confinements. Un an et demi plus tard, les conditions sanitaires pour rejoindre le Népal se sont assouplies et nous avons saisi l’occasion pour nous y rendre. L’objectif de ma mission : mieux comprendre la situation des réfugiés tibétains du Népal. En effet, même en ayant lu un grand nombre de rapports, d’articles et après de nombreux échanges virtuels avec nos partenaires, il est difficile de se faire une idée sur une situation sans se rendre sur place. 

Dès mon arrivée à Katmandou, le ton est donné par les représentants tibétains qui m’accueillent :  “Quand on est Tibétain, il faut être très prudent dans ce que l’on fait et dans ce que l’on dit” me rappelle-t-on avec insistance. “Le simple fait de commémorer le 10 mars, de célébrer l’anniversaire du Dalaï-Lama ou de brandir le drapeau tibétain peut être considéré comme un acte répressible ».

Dans chacune de mes rencontres, un message s’impose avec instistance : vivre sans papiers et sans reconnaissance officielle est un vrai calvaire. Pour mieux décrire cette réalité que j’ai côtoyée durant deux semaines, je reprendrai quelques témoignages de réfugiés tibétains que j’ai rencontrés. 

Vivre sans papiers 

Avant 1990, m’explique T.J., un représentant tibétain, les réfugiés tibétains qui arrivaient au Népal recevaient des cartes de réfugiés (Refugee Cards), ce qui rendait possible leur intégration économique, sociale et culturelle. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Le Népal n’est plus qu’un lieu de transit vers l’Inde ou l’Occident pour les réfugiés qui arrivent directement depuis le Tibet, lorsqu’ils ne sont pas capturés par la police locale qui les renvoie alors directement aux autorités chinoises.”  

À l’heure actuelle, même ceux qui avaient reçu une carte de réfugié avant 1990 ont d’énormes difficultés à la renouveler et les enfants de ces premières générations de migrants, même nés au Népal, ne sont pas reconnus par les autorités népalaises.  Une étude réalisée en 2020 par des organisations de défense des droits humains au Népal estime que sur les 20.000 réfugiés tibétains vivant au Népal, 12.331 n’ont pas de carte de réfugié, parmis lesquels 40 % sont des jeunes de moins de 16 ans. Officiellement, ils n’existent pas. Et puisque sans documents officiels, il n’est pas possible de voyager, les réfugiés tibétains n’ont ni le droit de rester au Népal, ni le droit de quitter le pays. Dans ces conditions, il est difficile d’envisager l’avenir. “La plupart des jeunes se dirigent vers de petits jobs peu sécurisés, tels que la vente d’artisanat ou le travail dans l’hôtellerie, des boulots où la paie peut être donnée en main propre” explique T.Y. , un jeune femme qui travaille pour une ONG tibétaine  “Mais ce genre de boulot est souvent très mal payé et peu durable. » 

Même en possession d’une carte d’identité, vivre en déconnexion avec ses origines peut aussi avoir des impacts psychologiques, comme l’explique C.T., un jeune népalais dont la mère, tibétaine, a obtenu et transmis à ses enfants la nationalité népalaise en mariant un népalais : ”À force de devoir cacher nos origines, par peur d’être pénalisés, beaucoup d’entre nous développent des problèmes psychologiques car nous sommes en perte de repère. Nombreux sont ceux qui sombrent dans la drogue, l’alcoolisme ou la dépression. En ce qui me concerne, c’est à travers l’art que j’exprime ce malaise. Cela m’aide mais je me pose beaucoup de questions sur l’histoire du peuple tibétain et c’est très difficile d’évoquer ces sujets, même au sein de la famille.”

Aider les jeunes à concevoir des perspectives d’avenir

Dans le cadre de nos projets, nous tentons d’améliorer les perspectives d’avenir des jeunes via différentes activités. Par exemple, nous soutenons l’organisation de formations qualifiantes facilitant l’intégration professionnelle des jeunes réfugiés tibétains. Car, si beaucoup d’entre eux tentent, à leurs risques et périls, de migrer vers l’Inde ou en Occident, la plupart n’en ont pas les moyens ou pas l’envie. “Le problème vient d’en haut, de l’influence de la Chine sur les autorités népalaises, nuance T.R. . Au-delà des contraintes administratives, nous aimons vivre au Népal, nous nous intégrons bien parmis la population, nous avons beaucoup de connivences culturelles .” 

Au sein des écoles, nous développons des projets ayant pour but d’aider les jeunes à se préparer à la réalité qui les attend. Avec nos partenaires, nous contribuons à la mise en place de séances d’informations, à l’organisation de formations extrascolaires, de coaching ou encore à l’installation de conseillers d’orientation. “Les enfants qui étudient ici ont peu d’occasions de sortir de l’école et de voir du monde en dehors de leur communauté”, nous confie D.T. , directrice d’une école tibétaine de Katmandou. Elle ajoute : “Ils ne sont pas toujours conscients de ce qui les attend après. Nous essayons de les préparer mais ce n’est pas toujours évident. C’est pourquoi, avec l’aide des Amis du Tibet, Luxembourg, nous avons engagé un conseiller d’orientation scolaire et installé son bureau au sein de l’école. Nous organisons aussi des excursions scolaires en Inde. L’impact de ces voyages sur la confiance des enfants est incroyable ! Cela leur permet de mieux comprendre qu’il y a quelque chose d’injuste dans la situation qu’ils vivent au Népal et qu’être Tibétain n’est pas un délit.” 

Une éducation de qualité avant tout

Il y a, au Népal, 11 écoles tibétaines dont 9 sont gérées par l’ONG Snow Lion Foundation, notre principal partenaire local. Reconnues et tolérées par les autorités népalaises, ces écoles participent à la transmission de la culture et de la langue tibétaine mais leur premier objectif est de fournir une éducation de qualité aux élèves. Ces écoles sont destinées avant tout aux Tibétains bien qu’elles soient de plus en plus  fréquentées par des enfants népalais et plus particulièrement ceux qui ont une culture proche de la culture tibétaine et que l’on qualifie d’ “Himalayens”. Ces enfants himalayens viennent, en général, de petits villages isolés qui bordent la frontière tibétaine. D.T.nous explique : “Il y a de plus en plus d’enfants himalayens dans nos écoles. En moyenne, mais cela varie très fortement d’une école à l’autre, il y a environ 40% de Tibétains et 60% d’”himalayens. Ceux-ci viennent de régions reculées du Népal et n’ont pas facilement accès à une éducation de qualité. Leurs parents sont, pour la plupart, très heureux que leurs enfants apprennent la langue tibétaine parce que ces populations sont bouddhistes et la plupart des textes sacrés sont écrits en tibétain ». 

Le coronavirus est aussi passé par là

Ces écoles tibétaines font face à de nombreux défis en termes pédagogique et de gestion. Le contexte politique évolue, le nombre d’élèves diminue, et les opportunités d’emploi changent. Les écoles Snow Lion Foundation en sont bien conscientes. Cependant, avec l’arrivée de la pandémie du Covid-19 et la fermeture des écoles durant un an (d’avril 2020 à avril 2021), les écoles tibétaines sont aujourd’hui en détresse. Dolma nous explique la situation : “Le coronavirus et les lockdowns ont eu un impact énorme sur nos écoles. Nous avons dû organiser un enseignement à distance, ce qui a été très difficile pour les élèves et les enseignants. Personne n’était préparé à cela. Les enseignants ont dû prendre en charge financièrement leurs frais de connexion internet et beaucoup d’élèves n’avaient pas d’ordinateur. Souvent, il n’y avait qu’un seul téléphone portable pour toute la famille et la connexion était rarement optimale. Après avril 2021, les écoles ont rouvert petit à petit. Depuis le 8 novembre 2021, les écoles sont totalement ouvertes. Nous organisons des cours de rattrapage pour les élèves, mais la situation reste compliquée. Par ailleurs, le turnover des enseignants est un problème très important. Cette semaine par exemple, deux enseignants ont démissionné en raison des mauvaises conditions salariales. Nous ne savons pas si nous serons capables, financièrement, de les remplacer.” Durant la pandémie, en effet, les écoles avaient l’interdiction de demander aux parents de payer des frais de scolarité, étant donné que les écoles étaient fermées. Cependant, certains frais, tels que l’entretien des bâtiments ou les salaires des enseignants, devaient être, malgré tout, payés. Les retards de paiement des salaires ont découragé beaucoup d’enseignants. En septembre 2021, Les Amis du Tibet avait sollicité, au Luxembourg, le soutien de ses membres pour aider ces écoles. Cela leur a permis de garder la tête hors de l’eau. 

Et dans le futur ? 

Les deux projets que nous mettons en oeuvre actuellement prendront fin en 2023. Dans les prochaines années, nous souhaitons poursuivre notre soutien aux jeunes pendant et après leur scolarité. Un travail de fond, déjà en cours avec des ONG népalaises, sera également essentiel pour mieux défendre les droits des réfugiés tibétains.

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